Ces petites bestioles que sont les Korogus vivent sur l’île aux Forêts dans The Wind Waker, entourant l’Arbre Mojo et dispersant ses graines une fois par an. Mais vous ignorez sans doute que leurs noms ne sont pas dus au hasard…
En effet, chacun possède un nom inspiré d’une essence végétale, que ce soit en anglais comme en français. Les noms anglais sont des dérivés en général simple du nom d’un arbre ou d’une plante. Mais en français, les traducteurs ont modifié ceci en choisissant des noms d’espèces en latin ! En se livrant à quelques recherches, on se rend compte qu’il existe quelques différences entre les deux versions… Voici donc une rapide étymologie des noms des Korogus, dans la version anglaise et la version française !
Dumoria : (en anglais : Makar)
Au départ, la version anglaise semble couler de source. Makar est un mot écossait signifiant « barde » ou « poète », désignant des conteurs jouant d’un instrument au Moyen-Âge. On voit tout de suite le lien avec Dumoria et son violon.
Mais en poussant plus loin, ce nom n’est pas sans rapport avec le monde végétal, puisque le genre Dumoria est un arbre poussant notamment en Afrique ! Et son nom français est… le makoré (en anglais, makore, sans accent). Makar se rapproche pas mal de makore, ce qui semble constituer un jeu de mots habile pour mêler à la fois le monde de la musique et celui de la botanique. En français, les traducteurs sont sans doute remontés au nom latin du makoré pour trouver Dumoria, mais en perdant au passage le double sens ayant un rapport avec la musique.
Dichopsis : (en anglais : Hollo)
L’apothicaire de la forêt tire son nom anglais de « holly », le houx, tout simplement. En français, la traduction est extrêmement subtile. On retrouve le genre Dichopsis comme étant un synonyme du genre Palaquium, un arbre tropical produisant une gomme similaire au latex, la gutta-percha. Cette gomme est utilisée pour ses diverses propriétés élastiques dans l’industrie (dans les adhésifs, par exemple).
On constate ici que les traducteurs français ont poussé très loin la recherche du nom, passant du simple houx sans grande portée à une essence rare produisant une gomme très utile, ce qui raisonne tout de suite avec le rôle de pharmacien de Dichopsis dans le jeu…
Betula : (en anglais : Irch)
Après ces deux premiers noms vraiment intéressants, nous rentrons dans des considérations plus classiques. Ici, Irch en anglais viendrait de « birch », le bouleau. Je me doute que vous savez ce qu’est un bouleau, même ceux qui n’en ont pas. En français, l’essence est respectée puisque Betula est le nom de genre du bouleau.
Ulmus : (en anglais : Elma)
Ici encore, la correspondance est respectée d’une langue à l’autre. Elma dériverait de « elm », l’orme en anglais, et Ulmus est le nom de genre de l’orme, ça tombe bien !
Aulnus : (en anglais : Aldo)
Encore une fois (et ce sera la dernière), la correspondance est respectée, puisque « aldo » est dérivé de « alder », l’aulne, et que le nom latin de cet arbre est bien Alnus, qui a sans doute été modifié en Aulnus afin d’éviter quelques blagues de mauvais goût.
Celtis : (en anglais : Olivio)
Ici, on commence à perdre la correspondance entre les noms d’une langue à l’autre. En anglais, Olivio dérive évidemment de l’olivier (« olive tree »). Cependant, Celtis n’est pas le nom de genre de l’olivier (qui est Olea), mais du micocoulier. Rien à voir, donc. Pourtant, Olea, ça faisait un joli nom de Korogu, je trouve. Quoiqu’un peu féminin… Est-ce que les Korogus sont mâles, femelles ou asexués ? Bref…
Fagus : (en anglais : Oakin)
Le nom anglais Oakin n’est pas un hommage à Akin, notre cher dictateur. Il dérive en fait tout bêtement de « oak », le chêne, aux feuilles facilement reconnaissables et à ses glands, que l’on croise un peu partout dans la rue.
En français, ce n’est pas le chêne qui est représenté, puisque Fagus est le nom de genre du hêtre, sans rapport avec la version anglaise, donc. Le nom latin du chêne est Quercus : là aussi, on ne comprend pas trop pourquoi l’espèce n’a pas été gardée durant la traduction, le nom Quercus pouvant bien aller à un Korogu.
Juglans : (en anglais : Drona)
L’étymologie anglaise de celui-ci est un peu complexe, puisque Drona dériverait de « madrone », qui est le nom anglais désignant l’arbousier (genre Arbutus). En français, rien de tout ça, puisque Juglans est le nom de genre du noyer. Pourtant, il n’a pas une tête de noix, celui-là…
Labula : (en anglais : Linder)
Nous arrivons aux deux derniers Korogus, les plus problématiques en français. La version anglaise Linder dériverait sans trop de souci de « linden », le tilleul, et le mystère est résolu. En revanche, le nom français Labula est bien mystérieux. Ce n’est pas le tilleul (genre Tilia), donc c’est autre chose. Après quelques recherches, le seul lien que j’ai découvert entre ce nom et le monde végétal est assez mince.
On ne retrouve ce mot que dans la désignation d’un arbre, Anthocephalus cadamba, dont le nom local en Indonésie et Papouasie-Nouvelle-Guinée serait Labula. Ce n’est donc pas ici directement un nom de genre ou d’espèce, mais une appellation locale. Un lien mince mais qui colle toutefois assez bien !
Stylus : (en anglais : Rown)
Voici le dernier, celui qui m’a fait chercher pas mal de temps ! La version anglaise reste limpide ici aussi, puisque Rown se rapproche de « rowan », qui désigne le sorbier (genre Sorbus). Mais en français… Stylus ne renvoie à aucun nom de famille, de genre ou d’espèce végétale précise (à la limite, il renvoie de loin à un reptile). Il faut aller chercher plus loin, et ici, le lien est moins évident.
Le style est une partie du pistil, c’est-à-dire la partie centrale de la fleur abritant les organes femelles. Le style désigne le conduit qui relie l’ovule, située à la base, au stigmate, situé au sommet. C’est sur ce stigmate que vient se poser le grain de pollen et c’est par le style que ce grain développe un tube pollinique, descendant jusqu’à l’ovule pour le féconder.
Sexy, n’est-ce pas ? On retrouve donc dans la littérature, surtout ancienne, une description du style selon sa forme, faisant intervenir des termes latins (le latin étant préconisé pour les descriptions anatomiques car pouvant être compris internationalement sans ambiguïté). Et c’est ainsi qu’apparait le mot stylus… Pas simple !
Et concernant leurs feuilles
Chaque Korogu possède sur sa face une feuille de morphologie différente. J’ai tenté de savoir si leur nom était lié à la morphologie de ces feuilles, mais il semble que ce ne soit pas le cas. D’autre part, il est difficile d’associer un genre avec une morphologie, car les feuilles d’arbres possèdent une variété de forme qui ne dépend pas que de l’espèce à laquelle ils appartiennent : le rapprochement « une forme = une espèce » est donc impossible. Impossible donc de vérifier si Olivio possède bien une feuille d’olivier sur la tête : quel olivier devrait-on prendre en compte parmi les multiples espèces existantes et possédant des feuilles différentes ?
Le corollaire serait d’essayer de trouver quelles espèces de plantes sont ainsi représentées par ces feuilles sur la tronche des Korogus mais pour la même raison (et aussi la simplicité des graphismes du jeu), c’est impossible. Et après tout, ce n’est qu’un jeu !
Reste que la version française offre une certaine complexité difficile à comprendre. Si Dumoria et Dichopsis vont chercher très loin leurs origines et révèlent un sens précis, on peut se demander pourquoi l’équivalence entre le nom anglais et le nom latin des espèces représentées n’a pas été gardée tout le temps. Et pourquoi les traducteurs sont allés chercher Labula et Stylus à des années-lumière de ce qui paraissait évident…
(Les images proviennent du site Zeldawiki.org)