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Kirby’s Dream Land

Le

par

Il y a bien longtemps, à l’orée des années 90… Le petit Bidoman, à peine scolarisé, se voit offrir en cadeau par sa tante une jolie boîte contenant un drôle de jouet. L’emballage est rigolo, avec des personnages ronds et colorés. La boîte annonce qu’elle contient une console avec deux jeux. L’un d’eux est un casse-tête où il faut empiler des briques, l’autre représente un personnage rondouillard tout blanc qui vole dans les airs.
Bidoman vient d’entrer en possession de sa première console et de ses deux premiers jeux, parmi lesquels figurent Kirby’s Dream Land.

20 ans plus tard…

Délicat de revenir après tant d’années sur ce qui a constitué mon tout premier contact avec le jeu vidéo. La Game Boy fut ma première console, et la seule durant plusieurs années, et Kirby’s Dream Land fut probablement le tout premier jeu qui s’offrit à moi, parallèlement à Tetris, vendu en pack avec la console dès l’année 1992 en France. Pendant longtemps, il m’a fallu me contenter de ces deux seuls jeux pour nourrir ma Game Boy et mon désir de jeu. Mais Kirby constituait un challenge bien suffisant pour un enfant de cet âge, bien malhabile de ses doigts et dessinant des êtres humains à 12 doigts durant l’école maternelle.

Mais nous reviendrons plus tard sur mon expérience personnelle et la fréquence de remplacement de mes couches-culottes. Posons-nous d’abord une question que je ne me posais guère à l’époque : Kirby, c’est qui ?

Kirby Wright : Dream Land Attorney

Au commencement, comme pour beaucoup de concepts de cette époque héroïque du jeu vidéo, il y a un homme : il s’agit ici de Masahiro Sakurai, fraîchement recruté en 1989 – l’année de ma naissance – par le studio HAL Laboratory. Sakurai est alors bien loin de la création de Mother ou Super Smash Bros., qui deviendront des séries phares du studio. Son objectif en tant que designer est de créer un jeu pour Game Boy, le système de jeu portable lancé en 1989 sous l’impulsion du génial Gunpei Yokoi. Mais pas n’importe quel jeu : Sakurai cherche à créer un jeu plutôt facile, s’adressant aux débutants et aux jeunes enfants. Le but est donc de réaliser un jeu de plate-forme sans stress et sans grosse difficulté, en introduisant des mécaniques de jeu nouvelles, à l’opposé de celles déjà en vigueur depuis bientôt une décennie sur arcade ou consoles.

Sakurai, le Mireille Mathieu japonais.

Sakurai et son équipe commencent donc par plancher sur des mécaniques de jeu avant de travailler l’aspect graphique, un procédé directement hérité de la philosophie de Yokoi et parfaitement mis en pratique par Miyamoto lors de la conception de Super Mario Bros. ou The Legend of Zelda sur NES. Sakurai entame donc le boulot avec un personnage au design simpliste, une boule ronde avec des yeux, des mains et des pieds, censée être remplacée à terme par un personnage plus travaillé. Seulement voilà, l’équipe de développement s’habitue et s’attache à ce petit personnage rondouillard, initialement nommé « Popopo », à tel point qu’il est finalement décidé de le laisser dans le jeu ! Et voilà donc notre héros affublé de son design définitif, lui qui n’était conçu à la base que comme un sprite de démonstration !

Reste que son nom original de Popopo a vite sombré dans l’oubli, remplacé finalement par la direction de Nintendo (Yamauchi ?) par Kirby. Et si vous avez lu la Minute du Prof qui se rapporte à cette histoire, vous savez déjà que Kirby tire son nom de John Kirby, avocat de Nintendo lors du procès opposant la firme de Kyoto à Universal, concernant l’éventuel plagiat du film King Kong à travers le premier jeu arcade Donkey Kong. John Kirby ayant permis de remporter le procès, Nintendo décida de nommer son nouveau personnage rond en hommage à cet homme leur ayant économisé une coquette somme en dommages et intérêts. Enfin, pas tout à fait… En 2011, Miyamoto a révélé que Kirby figurait parmi la liste préparatoire de noms possibles pour le personnage : il a été choisi en partie parce que John Kirby s’appelait pareil, mais aussi à cause des sonorités rugueuses du nom, en opposition au personnage à la figure rose et rondouillarde ! Vous savez tout !

Et voilà donc notre bon gros Kirby parti à la conquête de petites têtes blondes comme la mienne.


Le début de tout !

L’aspirateur sur patte

Le concept de base que Sakurai mit en place dans ce jeu est très simple : contrairement à Super Mario Bros., par exemple, sauter sur les ennemis ne les tue pas. On en revient donc à un concept aussi vieux que le jeu vidéo, où le contact avec l’ennemi blesse le héros. Et Kirby n’est absolument pas armé pour faire face aux adversaires ! Sa seule solution : aspirer les ennemis pour les avaler, ou les recracher en projectile sur les autres obstacles ! Voilà bien une idée totalement neuve et originale lorsque l’équipe de HAL Laboratory échafaude son nouveau jeu. Kirby, la petite boule rose (enfin, potentiellement jaune à la base, mais finalement rose, et blanche en Europe et aux USA pour être raccord avec les nuances de gris de la console), doit donc se servir de ses ennemis comme projectile. Il peut également inspirer de l’air, se gonfler, et ainsi recracher cet air sur les adversaires pour s’en défaire. Quel talent littéraire, on dirait du Baudelaire.

Ce premier épisode pose donc toutes les bases du gameplay de Kirby : inspirer, expirer ! En inspirant et en conservant cet air, Kirby double de volume et est désormais capable de voler. Mais s’il recrache l’air sur un ennemi, gare à la chute ! L’absorption des pouvoirs ennemis en les avalant n’apparaîtra que dans l’épisode suivant. Mais le concept est bien là et Sakurai crée ici un jeu aux mécaniques novatrices. Exit également la mort en un coup comme dans Mario : Kirby dispose d’une barre de 8 points de vie, pouvant être restaurés par des bonus dans le jeu.

Poussin, bombe… Tout y passe, avec Kirby !


Les bonus, parlons-en. De même que dans Mario (encore lui, eh oui), Kirby pourra rencontrer tout un tas de bricoles sur son chemin qui transformeront son état : le plat épicé lui fera expulser en rafale des boules de feu, la feuille de menthe le gonflera d’air et lui permettra de tirer des salves en rafale, la sucette le rendra invincible temporairement, le microphone lui permettra de hurler tel une Rebecca Black en chaleur, détruisant tous les ennemis à l’écran… De quoi faciliter la progression du joueur le moins doué.

Le plat épicé, de quoi cracher du feu !

Un scénario de timbre-poste

Une fois le concept posé, il fallait bien ajouter quelques bribes de narration pour scénariser un petit peu tout ce bazar. Ne comptez pas sur le jeu pour apprendre quelque chose de précis, les textes se résument aux crédits de fin et au texte bonus vous expliquant comment accéder au mode Difficile. Comme souvent à l’époque, c’est donc dans le livret du jeu que l’on trouvera quelques détails sur l’histoire.

Histoire qui, pour une fois, n’implique pas une princesse capturée ! Ici, il s’agit de nourriture… Dans la merveilleuse galaxie de Dream Land vivent des êtres sympathiques et heureux, parmi les étoiles. Mais un beau jour, le vil Roi Dadidou vint mettre le souk à Dream Land, en dérobant non seulement la nourriture des habitants, mais aussi leurs précieuses étoiles brillantes ! Le bas peuple commence donc rapidement à crever la dalle… Et voici qu’un héros sort de l’ombre, tel un Stallone sortant de sa retraite bouddhiste, près à botter des culs par paquets de douze ! Kirby, un jeune habitant de Dream Land, décide de partir seul à la rescousse de sa bien-aimée nourriture !

Se mettront sur son chemin les divers sbires du Roi Dadidou, allant des ennemis basiques aux looks très divers et variés, aux boss et mini-boss dispersés le long des 5 mondes à traverser. La progression y est classique, sans grande surprise : on avance, on bouffe tout, on bat le boss et on continue jusqu’à la fin ! Mais en même temps, quand on s’adresse à des enfants ou des débutants, mieux vaut y aller doucement sur les révélations et les retournements de situation !

Des étoiles partout !

La grande force de Kirby, malgré sa grande simplicité, c’est la création d’un univers particulièrement loufoque et parfaitement rendu par des sprites détaillés et soignés tout au long du jeu. Nous sommes à Dream Land, le Monde des Rêves, donc qui se souciera de voir une boule rose avaler des champignons qui gigotent, des cochons géants, des machins sphériques avec des yeux, ou carrément des morceaux de mur ? L’univers de Kirby est onirique, pour le plus grand bonheur de Max le Fou, et il permet toutes les fantaisies. L’équipe de développement s’est donc lâchée et a créé de nombreux adversaires divers et variés, d’apparence parfois mignonne et inoffensive, mais sans pité pour Kirby ! Le souci du détail est partout malgré la petitesse des sprites : on s’amusera par exemple à apercevoir de petites étoiles s’envoler dès que Kirby heurte un obstacle ou réalise la moindre action ! Ce genre de détails quasi-invisibles permet également au joueur de comprendre en un clin d’œil la physique du monde dans lequel il évolue.

Les mondes traversés sont également à l’avenant : 4 niveaux seulement, mais des mondes parfaitement identifiés, grâce à des éléments graphiques clairs et distincts. Sur Game Boy, en l’absence de couleurs, il fallait insuffler de la personnalité aux éléments graphiques par leur structure plus que par leur couleur : c’est ici chose faite. De la forêt du premier monde, avec ses arbres gigantesques, on passe tranquillement au château fait de briques et de salles secrètes, avant d’atterrir sur des îles tropicales peuplées de cocotiers et où voguent des galions. S’en suivra une virée parmi les nuages, tous plus cotonneux les uns que les autres, flottant parmi le ciel étoilé. Tout ça pour finir dans le château du terrible Roi Dadidou, dont nous ne verrons qu’une seule salle… occupée par un ring de boxe ! Il sera alors temps d’en découdre !

Des grottes aux étoiles, Kirby voit du pays !

Chaque monde est porté également par une ambiance sonore qui participe à créer une identité propre à chaque fois. Les compositions de Jun Ishikawa sont simples mais efficaces. Tout commence à l’écran titre par une musique à la fois rythmée et invitant à l’évasion. Puis l’aventure commence : tout d’abord une balade champêtre sautillante dans la forêt, qui laisse la place à une musique plus stridente et oppressante dans le château. Les îles sont baignées d’une ambiance plus sereine et évasive, avec des notes longues et un rythme rappelant un peu le calypso. Quant au monde dans les nuages, c’est tout en légèreté que la musique guillerette vous accompagne. Par contre, dès qu’il s’agit d’affronter Dadidou, ça ne rigole plus : rythme effréné, des basses bien présentes et une mélodie qui rappelle presque les affrontements de western ! Chaque musique est subtilement dosée et parfaitement évocatrice : Kirby est un jeu contenant peu de niveaux et de musiques, mais chaque élément a été travaillé à merveille pour donner un résultat de haut niveau.

Main dans le slip et mode VNR

Revenons maintenant à nouveau dans le passé. Il y a 20 ans, le jeu m’a offert un challenge à la hauteur de mon statut de jeune mioche découvrant la vie. Des heures et des heures pour réussir à passer les différents mondes. Si Green Greens et Castle Lololo, les deux premiers mondes, ne posaient plus guère de soucis après quelques jours, la situation était plus tendue dès le troisième monde, Float Islands. Et quelle joie de parvenir à voir Bubbly Clouds, le quatrième monde ! Quelle excitation, quel stress ! Et quand, parfois, je parvenais à atteindre le château du Roi Dadidou, c’était la consécration, la tension à son paroxysme, la peur d’échouer et de repartir encore au début du niveau… Ma première victoire sur le Roi Dadidou, je crois m’en souvenir mais il est possible que ma mémoire me joue des tours en mélangeant des choses réelles et imaginées. J’ai pourtant un souvenir particulièrement fort de cette victoire, accompagnée par la suite par la musique des crédits de toute beauté, tandis que Kirby rentrait chez lui en montgolfière.

Kirby’s Dream Land – Ending Theme (Jun Ishikawa)

En 2015, fort de mon expérience et de mon doigté adulte, je dois dire que le challenge n’est pas le même… 20 minutes montre en main pour traverser les niveaux, difficulté au niveau zéro, une balade ! A tel point que je me demande même comment le jeu a pu m’arrêter si longtemps dans le passé… Le jeu est donc clairement taillé pour les débutants et très jeunes joueurs.

Cela dit, la fin du jeu offre un moyen de corser l’aventure… A l’époque, je ne comprenais pas grand-chose à l’anglais : j’essayais la combinaison de touches indiquée à l’écran, en vain. Devenu grand, j’ai enfin pu tester ce mode Hard qui restait pour moi inaccessible étant marmot.

L’écran mystère quand j’étais gamin… Je n’ai jamais compris ce que je devais faire exactement…

Et là… La claque ! La difficulté s’envole, les ennemis sont vicieux, rapides, prennent des trajectoires fourbes, vous retirent 2 points de vie au lieu d’un seul… Les boss sont redoutablement retords, les pièges multiples… Dans Bubly Clouds, d’inoffensives étoiles tombant du ciel deviennent même des projectiles blessants ! Finalement, si j’avais pu accéder à ce mode étant gamin, jamais je n’aurais dépassé le premier niveau ! Kirby peut donc proposer un challenge autrement plus corsé, pour peu qu’on fasse la bonne combinaison de touches à l’écran. La facilité déconcertante n’est que la partie visible de l’iceberg : sous la couche de vernis, Kirby vous retourne et vous fume !


Kirby’s Dream Land, c’est mon enfance, ma première expérience vidéo-ludique, mon premier contact avec Nintendo également, à une époque où j’étais bien loin de me préoccuper de tout ce bazar. Kirby, c’était juste un jeu plutôt difficile pour moi à cet âge, avec de jolis graphismes et des musiques rigolotes. Bien plus tard, je prends conscience de la richesse du jeu au-delà de son apparente simplicité. Il pose les bases de la série telle qu’on la connait toujours actuellement. Même si Kirby est un héros qui n’a jamais acquis la gloire d’un Mario ou d’un Sonic, il reste malgré tout un jalon important de l’histoire du jeu vidéo. Il était plus que temps de lui rendre hommage.

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