L’année dernière, ce que les gens avaient retenu de l’E3, c’était ça :
Au grand jeu de la communication, Sony avait tiré son épingle du jeu en deux minutes en annonçant le support des jeux d’occasion, la non-obligation d’être en ligne pour jouer, ainsi qu’un prix de 100 € inférieur à celui de la Xbox One, même si la console était amputée de sa caméra vendue séparément. Il est vrai qu’à cette époque du buzz à tout va, tacler son concurrent en annonçant ce qu’attendent les joueurs est synonyme de diffusion massive.
Pendant ce temps, Nintendo quittait la grande bataille des conférences en proposant son Nintendo Direct@E3 2013, permettant pour la première fois d’avoir un événement sous-titré en français pendant le salon. Mais la plupart des joueurs étaient d’avis que Nintendo avait abandonné la conférence habituelle de peur de ne pas soutenir la comparaison face à ses deux rivaux présentants une nouvelle console. Au final, la déception était sur toutes les lèvres ou presque : Retro Studios sur un deuxième Donkey Kong Country au lieu d’une nouvelle licence, un Mario 3D « sans ambition », pas de retour d’une vieille licence oubliée, pas de nouvelle grosse licence et pas de surprise.
Cette année, le même schéma était d’actualité avec une conférence live pour Sony et Microsoft tandis que Nintendo diffusait le Nintendo Digital Event, une vidéo un peu remaniée pour l’occasion. Mais cette fois, renversement de situation puisqu’on peut lire à de nombreux endroits que « Nintendo a gagné l’E3 ». Et même si je n’aime pas cette expression, on peut tout de même admettre que le constructeur japonais a su convaincre. Alors qu’est-ce qui a changé depuis l’année dernière ? Retour sur la bataille de l’E3, version 2014.
Les annonces du Digital Event
Le point central d’une vidéo centrée sur les annonces de jeux, c’est bien sûr les annonces (pour retrouver l’ensemble de celles-ci, je vous encourage à consulter le résumé d’hier). Et si l’on y regarde bien, le bilan n’est pas fondamentalement différent de celui de l’année dernière. Les véritables surprises se comptent sur le doigt d’une main (voir Nintendo @ E3 2014 : Demandez le programme !), la nouvelle licence Splatoon n’a pas franchement enthousiasmé (sur ce qui a été montré, il ne s’agit pour l’instant que d’un jeu exclusivement multijoueur et uniquement en ligne), le nouveau Star Fox n’a absolument pas été montré et même le prochain Zelda que l’on s’attendait à voir n’a été montré que quelques secondes. Il ne faut néanmoins pas négliger le pouvoir que peut avoir une vidéo de trente secondes de Zelda sur les fans occidentaux hystériques.
Et ce n’est pas avec des jeux comme Yoshi’s Woolly World ou Xenoblade Chronicles X que l’on connaît depuis plus d’un an que Nintendo pouvait surprendre. Le prochain Kirby sera une resucée du premier sur DS, Captain Toad: Treasure Tracker est le dérivé en jeu complet d’une dizaine de niveaux de Super Mario 3D World et même un jeu qu’on pouvait légitimement espérer voir comme Shin Megami Tensei × Fire Emblem est aux abonnés absents.
Pour terminer, mêmes les figurines NFC de Nintendo, les amiibo, ont déçu a posteriori. Annoncés comme pouvant être utilisés avec plusieurs jeux à la fois, on a appris récemment qu’une figurine pourrait en effet être utilisée sur différents jeux mais ne pourrait stocker que les données du jeu pour lequel elle a été prévue.
Alors attention, je ne suis pas spécialement sceptique et je suis même content de ce qui a été montré mais sur le plan des annonces pures, il n’y a pas lieu de s’enthousiasmer plus que de raison. Nintendo a présenté ce qui était prévu et ce qu’on attendait de lui. En clair, de très bonnes annonces comme l’année dernière pour le fan de Nintendo, mais rien de particulièrement transcendant. Alors pourquoi est-ce que les réactions sont si différentes ? Plusieurs choses peuvent expliquer cette réussite du salon californien par Nintendo…
Des concurrents décevants
La première explication et peut-être la plus simple, c’est le raté des conférences en face de Nintendo, que ce soit du côté des autres constructeurs ou des éditeurs.
Pas la peine de parler d’Electronic Arts, qui comme à son habitude a sorti le combo sport + Battlefield et a déçu sur le reste en ne présentant que sporadiquement les très attendus prochains épisodes de Mass Effect et Mirror’s Edge.
C’était un peu mieux du côté d’Ubisoft même si comme attendu la Wii U était totalement oubliée, à l’exception du prochain Just Dance dont on se fout totalement (cette image fabuleuse qu’ils ont des joueurs Nintendo). Une présentatrice toujours aussi dynamique (oui, j’aime bien Aisha Tyler), le tout avec pleins de suites et une annonce finale de Rainbow Six Siege qui même si elle était réussie, aura moins fait rêver que celle de Watch_Dogs ou de The Division.
Il en a été de même pour Microsoft qui a rendu un résultat plutôt honorable sur l’exercice, dévoilant quelque exclusivités inattendues comme Phantom Dust, Crackdown, Scalebound ou le DLC loufoque Super Ultra Dead Rising 3′ Arcade Remix Hyper Edition EX Plus α. La conférence était même bien rythmée avec un focus uniquement mis sur les jeux. En revanche, le reste était attendu et très classique. Néanmoins, le désintérêt pour Microsoft est assez sévère et l’entreprise paye sans doute les errements depuis l’année passée ainsi que l’absence d’Halo 5 pour cette année, remplacé par une compilation des quatre premiers.
En revanche, gros échec du côté de Sony (voir le résumé de la conférence Sony) qui a présenté une conférence mal rythmée et profondément ennuyeuse. La PS Vita abandonnée, Uncharted 4 à peine montré en cinématique et l’impression de voir la même chose pendant deux heures. La bande-annonce de Metal Gear Solid Ⅴ aurait pu réveiller l’audience endormie mais elle avait déjà fuité juste avant, dommage pour Sony.
Bref, du côté de la concurrence (à ce point de désintérêt, on peut parler de concurrence même pour les éditeurs tiers), c’était au mieux moyen et cela a sûrement augmenté l’impression de réussite du côté de Nintendo.
Une bouffée d’air frais
Nintendo a confirmé lors de cet E3 ne pas jouer dans la même cour que les autres. En ce qui concerne les jeux tout d’abord. Là où on voyait des armes à feu, du noir et du gris partout ailleurs, Nintendo a une fois de plus joué la carte de la couleur et du mignon. Et même lorsqu’ils présentent un TPS multijoueur en team-deathmatch (comment ça fait trop beau gosse de parler en anglais) en la personne de Splatoon, il s’agit d’un jeu de paintball auquel on pourra faire jouer sans gêne des enfants. Le public familial reste plus que jamais le cœur de cible de Nintendo. Mais là aussi c’était déjà le cas auparavant, circulez, y’a rien à voir.
En revanche, la grosse nouveauté cette année, c’est la communication. Après plus de deux ans de Nintendo Direct, Nintendo a semble-t-il enfin trouvé la formule gagnante : du déjanté, de l’autodérision et du fanservice.
Ingrédients déjà utilisés dans les récents Mario Kart 8 Direct et Tomodachi Life Direct, ou même lors de l’annonce du programme de l’E3 où Nintendo s’était offert les services de Mega64, ils ont cette fois-ci été poussés à leur paroxysme. Face aux salles géantes remplies de bracelets lumineux ou de projecteurs et surtout face aux discours emplis de sérieux de leurs concurrents, Nintendo a décidé de faire s’affronter deux de ses plus hauts responsables dans un combat dans le plus pur style des shōnen. Une belle preuve de recul sur leur importance dans l’entreprise.
Et que dire des petits interludes en stop motion qui ont ponctué toute la diffusion ? Seule une entreprise décidément sûre d’elle peut se permettre de se mettre en scène de la sorte et de railler les demandes incessantes des fans et des journalistes à propos de Mother 3 ou de Star Fox. Les autres marques qui se permettent ce genre de choses sont les institutions telles que Disney ou LEGO, autrement dit pas les plus mauvaises.
Même à côté de cela, les jeux étaient présentées lors d’interviews avec les développeurs dans des cadres typiquement japonais et avec des discours humbles, histoire de trancher significativement avec l’ambiance du show à l’américaine proposé ailleurs.
Qu’il est loin le temps d’Iwata annonçant chaque nouvelle bande-annonce d’un « Please take a look » dans une ambiance à faire pâlir d’envie une présentation PowerPoint. Et pourtant, ce n’était pas plus vieux que l’année dernière. Alors la conférence vidéo, avenir de l’E3 dans les prochaines années ?
Une couverture tout au long du salon
Pour accentuer l’événement, Nintendo a décidé de ne pas se focaliser sur l’unique moment de la conférence mais de communiquer pendant toute la durée de l’E3.
Les jeux jugés moins importants ont été exclus de la conférence pour n’être dévoilés qu’après celle-ci. C’est notamment le cas de Mario Party 10, Mario Vs. Donkey Kong, Art Academy et Devil’s Third sur Wii U à la fin de la conférence, mais aussi de Fossil Fighters: Frontier et Fantasy Life sur Nintendo 3DS par la suite.
Même idée avec les tables rondes qui ont révélées Pac-Man dans Super Smash Bros. et Code Name: S.T.E.A.M.. Éparpiller ses annonces est une bonne stratégie puisque cela permet évidemment d’augmenter le nombre de fois où les gens parleront de vous.
Et là où comme je le disais dans le paragraphe précédent, Nintendo s’est éloigné le plus possible d’une ambiance à l’américaine pour sa présentation principale, on la retrouve par la suite dans leurs streams sur Twitch.
Deux événements d’envergure étaient au programme sur le site racheté récemment par Amazon. Tout d’abord Nintendo Treehouse: Live @ E3 2014, une série de diffusions s’étalant sur plus de de 20 h de vidéos en trois jours. L’occasion pour qui en avait l’envie (et surtout le temps) d’assister à des démonstrations de gameplay des jeux déjà annoncés (ou pas puisque c’est là qu’on y a également vu Project Guard et Project Giant Robot, les deux projets de Miyamoto) mais également de voir les développeurs parler de leurs jeux.
Et ça, c’est ce que l’on trouvait entre autre dans les conférences concurrentes. Inutile de dire que lâchés sans filet devant des milliers de personnes, Sony ou Microsoft ne se risquent pas à vraiment montrer le jeu en direct mais enregistrent toutes les séquences et placent un bonhomme qui appuie sur des boutons au hasard devant (il paraît même que ça leur été venu à l’idée de faire à la même chose lors de démos Kinect mais ils ont abandonné l’idée, « trop gros, ça passera pas »).
Nintendo a ainsi allégé de plusieurs longues minutes sa « conférence » tout en laissant la possibilité d’assister à ses phases de présentation par la suite et en faisant vraiment tourner le jeu. L’occasion de voir réellement l’avancement des jeux Nintendo.
Ces streams ont été un énorme succès puisqu’ils ont été suivi par environ 50 000 spectateurs sur Twitch pendant que la division PlayStation ne dépassait pas la barre des 5 000 sur le sien. Une communication amplement réussie sur ce point. Vous pouvez retrouver l’ensemble des jeux présentés dans la playlist ci-dessous.
Enfin, Nintendo a marqué cet E3 d’une pierre blanche puisque c’est la première fois qu’ils s’intéressent au côté compétitif de Super Smash Bros. avec le tournoi Super Smash Bros. Invitational.
C’était la démesure totale : seize joueurs, des guests, un public en délire, le tout animé par Monsieur Doritos en personne ainsi que trois commentateurs survoltés très connus des amateurs de Smash Bros. en eSport. Autant dire que c’était un plaisir à voir.
Et là, le score a été tout simplement hallucinant, avec quasiment 200 000 personnes regardant le live rien que sur Twitch (le tournoi était également retransmis sur YouTube). Nintendo a fait la plus belle pub possible pour son jeu avec ce stream mais également de sa console. La seule erreur à mon goût aura été de ne pas profiter du contexte pour dévoiler un nouveau personnage (révéler Pac-Man à cet instant aurait été plus pertinent que face à des journalistes).
Pour conclure, Nintendo a indubitablement sorti l’artillerie lourde pour cet E3. Prenant totalement ses concurrents à contre-pied en snobant une fois de plus la classique conférence de presse, ils n’en ont pas pour autant oublié de faire le spectacle à leur façon.
Nintendo a fait l’un des meilleurs E3 depuis la création du salon, tout simplement parce qu’ils ont contrôlé eux-mêmes leur communication en occultant les journalistes, habituellement présents pour décrire aux gens lambdas ce qu’il se passe à Los Angeles. Petit à petit, le monstre grossit et il ne serait pas étonnant de le voir faire des émules dans les années à venir.
Prochain rendez-vous avec l’E3 sur NDM, les avis de Cara et Rafou sur les jeux du salon qu’ils auront la chance de tester dans deux jours à Paris.