Porté aux nues dès son annonce, Child of Light se veut comme un hommage aux RPG de l’époque 16/32-bits qui parait aujourd’hui si lointaine. Né d’une volonté d’Ubisoft Montréal de travailler sur un petit projet, il est également une réponse de l’éditeur à cet engouement pour le jeu indépendant et tout particulièrement pour le jeu dit « poétique ». Est-ce une réussite et, plus important, est-ce un bon RPG ?
« Moi, j’te la chie par paquet de dix la poésie »
Pardonnez ce titre quelque peu vulgaire, mais cela traduit réellement l’impression que l’on a tout au long du jeu.
Child of Light est un produit un peu à part pour Ubi. Il n’est pas un « foudre de guerre » comme on dit, il n’a absolument pas le potentiel d’un Watch_Dogs, encore moins d’un Assassin’s Creed, et visiblement d’un Rayman. Il est là pour répondre à un besoin de jeux indépendants qui est de plus en plus fort. Alors, oui, Ubisoft, en sa qualité de troisième éditeur mondial ne peut pas vraiment être qualifié ainsi, sauf que l’idée du jeu indé se situe plus dans la forme que dans le fond. Le développeur a beau être celui de Far Cry 3, il n’en reste pas moins qu’il a souhaité « prendre une pause entre deux blockbusters » pour « faire une lettre d’amour aux RPG de la grande époque ». La forme, comme je vous disais.
Il est important pour une entreprise de conserver une bonne image. Si EA et Activision s’en moquent, ce n’est pas le cas de Ubi qui édite régulièrement de petites productions, comme From Dust, Outland et, mine de rien, Rayman.
Si les indés sont populaires auprès de leur public, c’est parce qu’ils remettent au goût du jour des genres absents des grosses productions actuelles : la plate-forme et le puzzle-game, avec soit une bonne dose de challenge, soit une idée de game design originale, soit de la poésie !
Child of Light fait donc partie de cette dernière catégorie. Tellement, qu’il en abuse beaucoup trop.
Ce jeu transpire la poésie. Si j’utilise cet oxymore, c’est justement pour appuyer sur une utilisation qui est à la limite du grossier, abusive. Comme cette nana amoureuse et insupportable qui a pour seul sujet de discussion son mec et qui le ramène constamment dans la discussion. Son graphisme, du dessin à l’aquarelle d’un monde en désolation. Son histoire, une petite fille morte qui atterrit dans un autre monde et est témoin de la tristesse de son père. Sa musique, des ballades mélancoliques au piano. Les personnages secondaires, des exclus, rejetés ou abandonnés. Avec un tel tableau, difficile d’imaginer que la poésie peut aussi être quelque chose de joyeux. Goutte d’eau qui fait déborder le vase, absolument tous les dialogues du jeu sont écrits de façon poétique, avec des rimes… En imaginant tout le mal que cela a du prendre (encore plus pour la traduction), ce n’était absolument pas nécessaire.
Non, Rimbaud et Léo Ferré ne sont pas devenus des « Lead Artist » et autres « Game Director ». Ce que nous avons là, ce n’est pas de la poésie, mais un travail aussi grossier que pourrait l’être une parodie. Comme ces films d’humour américains qui vont faire une scène de 15 minutes en ré-utilisant la même blague.
C’est dommage, car pourtant le reste de cette partie artistique est intéressante. Un jeu de rôle japonais fait par des occidentaux, c’est quand même assez peu commun sachant que ces derniers ont les leurs. Pourtant, Ubi n’est pas allé taper dans les boites à idées nippones pour l’inspiration des thématiques, même si cela reste dans le giron de la vieille Europe. C’est du côté des contes que Child of Light est né ! Dans le voyage de la jeune fille Aurora, difficile de ne pas voir l’influence des écrits de Charles Perrault, comme le Petit Poucet, mais aussi des frères Grimm avec Hansel et Gretel ou Raiponce, et d’Andersen, romancier de la petite sirène. Beaucoup de ces conteurs ont en commun des écrits sur des enfants abandonnés ou perdus dans des lieux hostiles et qui doivent rentrer chez eux, symbole d’un rite initiatique au passage adulte. Ce qui est précisément la thématique de Child of Light.
Forcément, les illustrations vont de pair avec ces inspirations et l’aspect aquarelle rendu possible grâce au UbiArt Framework, moteur graphique utilisé par les récents Rayman. Il représente d’ailleurs incontestablement le gros point fort du jeu tant les décors sont magnifiques et envoûtants.
En revanche, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, bien que les musiques participent à l’ambiance générale, elles sont assez fades et monotones. Non, il n’était pas question d’y mettre de la dubstep, mais nombre de RPG japonais se sont illustrés par de magnifiques bande-sons, comme Chrono Trigger. Ici, les pistes se ressemblent quasiment toutes et les instruments ne sont pas nombreux. Cette boucle de piano et de violon va vite devenir redondante.
« Retourne jouer à Call of ! »
Il parait que Child of Light est aussi un jeu vidéo, un RPG qui plus est ! Un genre aussi noble qu’oublié car trop gourmand en temps de développement et plus assez rentable.
Tout comme Rayman Origins et Legends dont Child of Light partage le moteur graphique, nous sommes face à un jeu en 2D. Cela peut paraitre étrange pour un RPG, mais l’exploration est toujours présente, et ce grâce aux ailes que la jeune fille obtiendra vite. En volant dans les vastes décors, vous pourrez dénicher coffres et mini-donjons pour obtenir des potions ou des cristaux qui vous permettront de modifier vos caractéristiques au combat.
L’essentiel de votre progression dans les différents tableaux se résumera à dénicher le moindre coffre présent et à s’envoler vers la suite. Si cela n’est pas très différent dans le fond de ce que proposent les autres RPG, Child of Light parvient à rendre ceci profondément monotone. Peut-être est-ce dû à l’absence d’obstacles, au peu d’énigmes et au fait que les cristaux changent seulement les caractéristiques des armes. Selon moi, ce dernier point tue la carotte qui forçait l’exploration dans les RPG, car si l’on s’embêtait à traverser des grottes c’était dans le seul espoir d’y trouver une arme ou un sort plus fort que les autres. Child of Light ne propose pas ça, il ne vous récompensera qu’avec une potion dont vous ne vous servirez pas ou une pierre précieuse qui, cumulée à d’autres augmentera votre rapidité ou votre défense, sans changer l’aspect de l’arme. Des objets que vous laissent également les montres que vous tuez. Avec ce système, Ubisoft montre une profonde incompréhension d’une règle de game design simple : s’il n’y a rien de rare dans les coffres, personne ne va s’embêter à aller les dénicher ! Paradoxalement, comme je l’ai dit plus haut, il s’agit de l’essentiel de la progression dans ce jeu.
Un RPG, c’est aussi et surtout des combats. Ceux-ci fonctionnent sous le diktat d’une jauge aux trois quarts verte, le reste étant rouge. Lors de la partie verte, votre personnage attend, et lorsqu’il arrive à la limite de la partie rouge, le temps se fige et vous pouvez choisir votre commande. La partie rouge de la jauge est celle dite d’exécution, c’est à dire du temps, plus ou moins long en fonction de la commande choisie, qu’il vous faudra pour arriver au terme de cette jauge et lancer votre attaque. Il faut tout de même prendre en compte l’annulation de votre attaque si vous êtes touché lors de son exécution et l’extrême importance des différents gains de vitesse pour progresser plus vite sur cette satanée jauge.
Il parait que cela ressemble au système de Grandia. Si vous n’y avez jamais joué, ça tombe bien moi non plus.
Ce système de combat, même s’il est inspiré d’un bon RPG, montre très vite ses limites car après avoir donné des gains de vitesse à vos personnages (que vous pouvez interchanger en cours de combat) et identifié le type élémentaire de l’ennemi, votre seule stratégie consistera à annuler le plus de ses attaques pour éviter de perdre de la vie. Les ennemis sont d’ailleurs robustes, mais pas pour autant assez forts pour vous stresser, cela aura juste pour conséquence d’augmenter la durée d’un combat monotone, terme qui semble définitivement être le maître-mot de ce test.
Décidément, entre les combats et la progression générale, difficile d’en préférer l’un à l’autre…
Dernière remarque pour le mode deux joueurs de la Wii U, qui aurait pu être bien. Entre la Wiimote et le Gamepad, il était logique de penser que la luciole (qui a le même rôle que le pointeur de Mario Galaxy) pourrait être contrôlé au tactile pendant que le joueur dirigerait Aurora avec la télécommande et le Nunchuk. Ça ne marche pas. Le couple échangera donc les manettes, pensant que la luciole pourra être dirigée avec le pointeur de la Wiimote, après tout, elle est là pour ça non ? Toujours pas.
C’est à la pire des idées qu’aura le droit ce pauvre deuxième joueur : celle où la luciole est dirigée par… la croix de la Wiimote ! Entre toutes les possibilités qu’offrait la machine de Nintendo, c’est celle-ci qui a été choisie. N’espérez donc pas y jouer à deux, personne n’étant assez fou pour supporter ça. Inutile d’en dire davantage, il s’agit là d’un énième mauvais point pour ce jeu.
En bref :
J’aime :
- Le style graphique sublime
- L’ambiance de conte
J’aime pas :
- Un jeu monotone sous tous ses aspects
- Des combats longs et mous
- Des musiques redondantes
- De l’exploration sans récompenses
- Trop de poésie tue la poésie
S’il existe la distinction « HD Poubelle » pour indiquer les gros blockbusters super beaux mais sans intérêt, Child of Light se paye celle de l’Indé Poubelle. C’est beau, mais ça s’arrête là. Un jeu lassant et mou sous tous ses aspects aussi bien par des choix artistiques discutables que par des erreurs stupides de game design. Qualitativement, ce jeu n’est en aucun cas un hommage aux RPG d’antan, ni même un bon jeu et ne mérite certainement pas quinze de vos précieux euros. J’y ai pourtant cru et aurais tant aimé l’apprécier.