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La 3D, ou l’énième flop d’une fausse révolution

Le

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S’il y a bien une technologie de l’image (sur)vendue depuis des décennies, et promise à un grand avenir, c’est la 3D. Dans l’esprit de beaucoup, il s’agit de la prochaine révolution obligatoire dans l’industrie du cinéma, de la photo et du divertissement. Une plongée que l’on promet renversante, saisissante, bluffante, afin de casser les barrières du réel. Mais est-ce vraiment le cas ? L’analyse des dernières décennies de progrès techniques montre davantage que la 3D semble à bout de souffle, bientôt déjà supplantée par des technologies bien plus convaincantes.


Je vous propose donc de retracer rapidement l’histoire et l’évolution de la technologie 3D, de son implantation et de son accueil à travers trois domaines complémentaires : le cinéma, la télévision et, bien entendu, les jeux vidéo. Chaussez vos lunettes polarisantes, c’est parti !

3D au cinéma : un peu d’histoire

Historiquement, le développement des technologies d’enregistrement 3D est lié sans surprise au domaine de la photographie et du cinéma. Laissons de côté le premier (très intéressant au demeurant) pour nous focaliser sur le second, beaucoup plus médiatisé et documenté.

Éliminons d’ores et déjà une idée reçue assez tenace : non, la 3D n’est pas une technologie nouvelle ou futuriste. C’est même davantage une technologie du passé ! En effet, les premiers procédés de visualisation et d’enregistrement 3D datent au bas mot… du milieu du XIXème siècle. Un peu de Wikipédia s’impose. Dès l’invention de la photographie vers les années 1838 – 1840, un procédé tout aussi original voit le jour : le stéréoscope. Permettant de visionner simultanément deux images légèrement décalées, le stéréoscope autorise très vite le relief dans les prises de vue. Un autre principe fondateur de l’effet 3D est théorisé dès 1853 par l’allemand Wilhelm Rollman, puis popularisé en 1858 par le français Joseph d’Almeida. Ce procédé s’appelle l’anaglyphe et vous l’avez déjà tous expérimenté au dos de vos boîtes de céréales ou dans le Journal de Mickey : c’est le procédé tout simple qui consiste à superposer deux images légèrement décalées et traitées avec deux couleurs différentes, généralement le bleu et le rouge. Avec des lunettes ridicules sur le nez, chaque œil voit une scène légèrement différente, le cerveau reconstitue tout ceci et donne l’illusion d’un certain relief.

Un exemple de stéréoscope en bois.

Du coup, dès l’apparition du cinéma à l’orée du XXème siècle, les réalisateurs s’y engouffrent ! Les frères Lumière retravaillent leur célèbre « L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat« , sorti en 1896, pour le proposer en 3D stéréoscopique plus tardivement en 1935 (au passage, les remakes non plus, ça ne date pas de maintenant, hein !). Mais le premier boum du cinéma 3D intervient dès les années 1920 ! De 1922 à 1925, une première vague de longs-métrages utilisant les anaglyphes envahit les salles, avant de subir un premier recul. La crise de 1929 passe par là, mais également la limitation du support : voir la vie en bleu et rouge, ça va 5 minutes. Mais la période voit pour la première fois le terme « cinéma 3D » s’imposer.

L’anaglyphe sans les lunettes, c’est le dégueulis garanti.

Le cinéma 3D redécolle dans les années 1950, et connait son second boum, incroyablement plus prononcé que le premier. Ce grâce à un nouveau procédé qui se répand comme une trainée de poudre : les verres polarisés. Ici, plus besoin d’images en bleu et rouge : les verres gauche et droit des lunettes sont sensibles à une lumière polarisée différemment, permettant l’affichage superposée de deux images décalées, mais préservant les couleurs. En dépit d’une perte de luminosité, la production connait un succès fulgurant. Hollywood pousse au maximum la démocratisation de cette technologie pour une raison avant tout économique : suite à l’introduction des téléviseurs dans les foyers, la fréquentation des cinémas est en chute libre. La 3D apparait donc comme un excellent argument marketing pour faire revenir le public en salle.

Pour faire court, l’onde lumineuse est composée d’un champ électrique et d’un champ magnétique se diffusant perpendiculairement l’un à l’autre. Un verre polarisé ne sera donc sensible qu’à l’une de ces deux composantes : de là, il est facile de transmettre deux informations différentes (gauche et droite) avec un seul faisceau lumineux.

Mais l’effet de mode s’estompe vite. Du côté des réalisateurs déjà, le surcoût de la production n’est pas négligeable. La 3D oblige à tourner les rushs avec deux caméras synchronisées, puis à gérer correctement la post-production. En salle, la diffusion nécessite également deux projecteurs parfaitement synchronisées. Quant aux spectateurs, ils se plaignent rapidement de maux de tête et autres nausées, causés soit par la désynchronisation entre les deux images, soit par le paradoxe causé dans le cerveau entre l’information visuelle et les autres informations corporelles (si ma vue dit que ça bouge alors que le reste de mon corps ne bouge pas, mon cerveau bugge quelque peu). L’exemple de l’accueil en France est évocateur de ce phénomène en forme d’étoile filante dans le ciel du 7ème art.

Bwana Devil (1952), l’un des premiers long-métrages de la nouvelle vague 3D des années 1950.

Mais la technologie n’a pas dit son dernier mot, et revient timidement en salle dans les années 1980. Sauf que les problèmes des années 1950 n’ont toujours pas été résolus malgré l’avancement des technologies. Même si la production reste assez constante sur 10 ans, de 1975 à 1985 environ, l’essor n’a toujours pas lieu. Critiqués pour des utilisations plus tape-à-l’œil que réellement novatrices sur le plan artistique, les réalisateurs se détournent rapidement de nouveau de la 3D.

Le dernier boum en date est celui vécu durant les années 2010. Alors que la technologie vivote durant les années 1990 – 2000, elle prend de nouveau son essor vers 2008 – 2009, avec la démocratisation du numérique, du format HD et de nouvelles technologies 3D, comme les lunettes dites « actives » : chaque verre est oblitéré alternativement à très haute fréquence, en adéquation avec la projection qui alterne image gauche et image droite très rapidement. Mais la polarisation classique reste la technologie se répandant le plus dans les salles obscures, car moins coûteuse à mettre en œuvre.

Finalement, l’histoire du cinéma durant tout le XXème siècle est ponctué de périodes éclairs où la 3D fait un retour fracassant, sans pour autant convaincre ni parvenir à s’imposer massivement.

Grand spectacle assuré avec Les dents de la Mer 3 (1983) projeté en 3D.

Voilà une belle frise ultra grande que vous pouvez voir en immense en cliquant dessus.

Je t’aime, moi non plus

Nous arrivons donc à la situation actuelle. La frise présentée ci-dessus semble assez optimiste sur l’avenir de la technologie, vouée à se développer de manière exponentielle. Normal, vu qu’elle est issue de chez Sony et qu’en 2011 – 2012, le fabricant misait gros sur le cinéma et la télévision 3D pour gagner des parts de marché. Si on tente de la poursuivre en cherchant un petit peu la fréquence de production de films en 3D, on constate que l’on est plus près d’une stabilisation que d’une augmentation exponentielle. De 2010 à 2016, ce sont en moyenne 67 films par an qui sont produits en 3D. Pas grand-chose quand on sait que ce sont environ 700 longs-métrages qui sont produits annuellement rien qu’aux États-Unis, et plus de 1000 en Inde et au Nigeria ! (chiffres UNESCO de 2005 à 2009)

Petit graphique maison illustrant la production de films 3D par an (mélange vraie 3D / fausse 3D).

Ce décompte mêle sans distinction les films réellement tournés en 3D, avec du matériel adapté, et ceux tournés en 2D puis convertis en 3D en post-production. En réalité, quasiment la moitié de ces productions ont été tournés en 2D classique, puis convertis ultérieurement. On est loin d’une technologie qui s’impose massivement. Un exemple est assez symptomatique : Star Wars 7. Comme me l’indiquait Akin lors des réflexions autour de ce dossier, la saga Star Wars a toujours été à la pointe des nouvelles technologies cinématographiques : maquettes, effets spéciaux, film numérique, personnages en images de synthèse. Souvent, quand Star Wars utilise une avancée, le film est précurseur d’une technologie qui deviendra la norme par la suite. Surprise : le dernier épisode de Star Wars en date, ainsi que Rogue One, à paraître dans quelques mois, ont été tournés en 2D classique, puis convertis en post-production. Un choix qui en dit long sur la timidité de la vraie production 3D. Le site Sens Critique dénombre d’ailleurs à ce jour uniquement 182 films tournés en vraie 3D depuis 2009, liste certainement non exhaustive malgré tout.

Ils peuvent être fiers, car les réalisateurs osant la vraie capture en 3D sont peu nombreux.

Côté spectateurs, l’emballement n’est toujours pas visible non plus. Le rapport 2014 de la Motion Picture Association of America sur le marché du cinéma nord-américain donne quelques chiffres permettant d’y voir plus clair. En 2014, le cinéma 3D représentait un chiffre d’affaire de 1,4 milliard de dollars, soit seulement 14% du total (10,4 milliards) et accusant une baisse de 2% par rapport à 2013. Le même rapport en 2015 montre toutefois une amélioration, avec un chiffre d’affaire grimpant à 1,7 milliard pour le cinéma 3D, représentant cette fois 15% du total. Des performances restant malgré tout relativement marginales. La progression des salles disposant de la 3D s’avère timide : en Amérique du Nord, ce sont 739 salles numériques 2D de plus qui ont été créées entre 2014 et 2015, contre seulement 295 équipées en 3D. La progression est plus marquée en Europe, mais la 2D reste majoritaire et progresse plus vite. Seule la zone Asie / Pacifique semble décidée à franchir le cap : on compte alors seulement 804 nouvelles salles 2D contre… 8248 salles équipées en 3D !

Sur le marché américain, un graphique est éloquent : celui de la part de marché de la 3D. Il apparait clairement que depuis 2010 et un pic à 21%, le cinéma 3D n’augmente pas ses recettes et tend à stagner dangereusement.

Argent trop cher

Il est assez ironique de constater que pour beaucoup, la 3D allait constituer la bouée de sauvetage d’une industrie en perte de vitesse depuis plusieurs années, un argument qui, souvenons-nous, était déjà invoqué dans les années 50 ou 80. Sans surprise, il n’en est rien.


Après un engouement entre 2009 et 2011, les producteurs et réalisateurs semblent déjà se détourner d’un moyen de production plus cher et n’apportant finalement que peu de réelles nouveautés au langage cinématographique. Rares sont les productions faisant une utilisation intelligente de la 3D, à savoir se servir de la profondeur inaccessible en 2D pour changer la façon de cadrer, de monter ou d’exprimer des actions et émotions à l’écran.

Du côté des spectateurs, les arguments du refus sont connus. En premier lieu, le prix du ticket a grimpé dangereusement : en plus des quelques euros supplémentaires pour la séance 3D, il faut également investir dans une paire de lunettes contre une pièce ou deux. Résultat : je me souviens encore de ma séance de Gravity à 15€. L’expérience les valait, mais on ne peut pas en dire autant de tous les films. Enfin, les arguments déjà avancés dans les années 50 refont leur apparition : maux de tête, inconfort, perte de luminosité et des couleurs, les raisons de se détourner du média sont multiples. Une étude de 2011 mentionne que sur un panel test, seul un tiers des spectateurs de films en 3D n’éprouvait aucun problème, quand les deux tiers restants mentionnait un inconfort, allant de la simple gêne visuelle au dégueulis assuré. Une autre étude de 2013 abondait dans le même sens.

Gravity (2013) proposait une immersion réellement forte, avec quelques plans bien pensés. Manque de bol, il a été tourné en 2D puis traité en post-production…

Bref, rien n’indique que le cinéma 3D soit promis à un avenir radieux, bien au contraire. Même des pointures comme James Cameron reconnaissent publiquement que trop de films 3D fournissent un résultat poussif, la faute souvent à une conversion 2D-3D pauvre et mal optimisée. La production en vraie 3D peine à décoller, pâtissant certainement de la faible qualité de la « fausse 3D », du prix élevé du billet et du manque de renouveau apporté par le média. Quand il s’agit de choisir entre version 2D et 3D, le spectateur opte de moins en moins souvent pour la seconde solution, comme le révèle cette étude au Québec. Alors, le salut viendrait-il de l’implantation des téléviseurs 3D à la maison, permettant de profiter également de la troisième dimension à la maison, et de faire ainsi de cette technologie un incontournable du quotidien ?

Tranquillement, le prix du billet en Amérique du Nord continue d’augmenter, indépendamment de la 3D ou pas.

Télévision 3D : la chute d’Icare

Si le cinéma 3D est presque aussi vieux que le cinéma lui-même, on ne peut pas en dire autant de la télévision 3D, qui est réellement un phénomène très récent. Avant 2008 – 2009, on compte sur les doigts d’une main les tentatives de 3D à domicile, comme les quelques programmes diffusés en anaglyphes et demandant au téléspectateur de porter des lunettes adaptées.


Ce n’est donc qu’à partir de 2008 – 2009 que les premiers modèles de téléviseurs compatibles 3D apparaissent sur le marché domestique, souvent à des prix relativement prohibitifs. Les technologies restent les mêmes : lunettes passives polarisantes ou lunettes actives à occultations alternées, comme au cinéma. Une troisième technologie est envisagée dès 2010 mais peine à s’imposer : la 3D auto-stéréoscopique, c’est-à-dire ne nécessitant aucune lunette. Encore une fois, cette prouesse n’a rien d’une véritable avancée, puisque les premiers tests sur cette technologie datent de 1908, et que l’auto-stéréoscopie a été utilisée en photographie durant l’Entre-deux-guerres. De grands noms comme Philips ou Toshiba tentent l’expérience mais peinent à fournir des produits accessibles à toutes les bourses. Le chinois TCL commercialise par exemple en 2010 une télé 3D auto-stéréoscopique coûtant la bagatelle de 14 000€ ! Depuis, les prix ont évidemment lourdement chuté, rendant la technologie accessible.

L’auto-stéréoscopie constitue un autre moyen d’envoyer encore une fois des informations différentes à chaque œil.

Pourtant, force est de constater que la télé 3D ne s’est pas imposée, loin de là. L’enthousiasme des observateurs du marché était pourtant réel, comme le montre assez bien cette rétrospective. Depuis la présentation des premiers modèles en 2009, les analystes tablaient sur une pénétration du marché à hauteur d’un tiers en quatre ans pour les téléviseurs 3D. Puis, en 2010, 2011 puis 2012, les estimations se veulent plus prudentes, notamment en relation avec le décollage difficile de la 3D au cinéma, et le manque de vraies productions 3D comme nous l’avons déjà évoqué. Encore une fois, c’est l’Asie qui se démarque, avec le lancement de programmes en 3D dès 2010, et un vrai engouement pour cette technologie.

Ça vend du rêve, hein ? En réalité, l’effet est UN POIL moins impressionnant, bizarrement..

Tout ceci bascule dès 2012, où les nouveaux modèles de télés 3D marquent le pas et passent au second plan alors qu’on commence déjà à évoquer les fameux modèles 4K, UHD et HDR, autant d’acronymes barbares faisant frémir le caleçon du technophile moyen. La 3D semble reléguée au second plan : certains l’annoncent morte dès 2013. Mais la confirmation arrive en ce début 2016, de la part des fabricants eux-mêmes. Ainsi, Samsung propose en 2016 une gamme complètement exempte de modèles 3D, de même que Philips. Jérôme Neiss, chef de produit TV chez Samsung France, lance même une déclaration choc :

En 2015, nous avions amorcé la transition en ne livrant plus de lunettes avec nos téléviseurs 3D. Les clients pouvaient cependant les obtenir gratuitement en nous les demandant. Absolument personne ne nous a contacté à ce sujet.


Ouch ! Difficile d’avoir un élément plus clair pour mesurer le degré d’ignorance du public face à cette technologie. Car là est toute la difficulté d’estimer la part de marché de la télévision 3D : une télé 3D peut également faire de la 2D ! Comment évaluer dès lors la fréquence d’utilisation des services 3D au sein de la famille ? Quelques éléments permettent de répondre, et ils font mal également. M. Neiss souligne ainsi que Samsung a constaté un taux de connexion proche de zéro à leur application proposant des vidéos 3D… La messe est dite : au sein des foyers, l’intérêt pour la 3D semble pour ainsi dire nul.

Argent toujours trop cher

Comme le cinéma 3D, la télé 3D a souffert de handicaps similaires bloquant son adoption. En premier lieu, les prix élevés ont bien entendu joué un grand rôle. Les gênes et l’inconfort sont peu ou prou les mêmes qu’au cinéma, et porter des lunettes pour regarder un programme aussi intéressant que les tribulations de Cyril Hanouna au pays des beaufs n’est pas forcément excitant. Rien qu’en France, le marché atteint son pic en 2011 et 2012, avant de chuter lourdement : les ventes tombent de 36% entre 2014 et 2015, la partie semble pliée. Pourtant, la vente de Blu-Rays ne semble pas forcément en pâtir : l’édition 3D d’un film peut représenter jusqu’à 30% des ventes totales, ce qui semble indiquer que les possesseurs de télé 3D la rentabilisent malgré tout avec des Blu-Rays. De même, on estime que 15 à 20% des ménages français peuvent lire la 3D d’une façon ou d’une autre. Mais comme nous l’avons vu, la vraie question reste : le font-ils vraiment ?


L’inconfort ne disparait pas mystérieusement à la maison, selon de récentes études : en effet, de nombreuses erreurs de production se glissent dans les Blu-Rays même les plus travaillés. Ainsi, des chercheurs ont dénombré, sur la production récente de Blu-Rays 3D, qu’il y avait 21% de chance en moyenne d’avoir une inversion d’image gauche / droite lors du post-traitement, et 24% de chance d’avoir un décalage temporel entre deux images gauche / droite. Ce qui signifie qu’entre un cinquième et un quart du temps, des décalages créant des gênes visuelles peuvent apparaître ! Je vous laisse faire le calcul du temps total d’inconfort devant un blockbuster de deux heures…

Du côté de la production, c’est là que le le bât blesse encore une fois, avec les coûts élevés de la capture d’images en 3D. Quelques évènements sportifs ont été couverts en 3D à l’aide de caméras adaptées, mais quasiment aucune émission ni programme de divertissement n’a subi le même sort. Peu d’intérêt également d’acheter une télé 3D pour profiter des rares films produits dans ce format et méritant un tel investissement, comme nous l’avons vu plus haut. Difficile, de même, de justifier cela par l’utilisation de caméscopes privés 3D : rares sont les clients à avoir investi autant pour filmer les premiers pas de Théo dans la cuisine en trois dimensions.

Le caméscope Panasonic HC-X1000E coûte la bagatelle de 2 000€, quand même.

Restent les jeux vidéo, qui me permettent de justifier la présence de cet article sur le site (bien joué !). La Xbox 360 et la PS3 se targuaient à leur sortie d’être compatibles avec les futurs téléviseurs 3D. Mais dès la génération suivante, la tendance s’inverse : la Xbox One abandonne le support de la 3D, et la PS4 ne l’accueille qu’à partir de 2014. Autant dire que cette utilisation est encore une fois très anecdotique.

La Nintendo 3DS : un concept qui ne s’assume pas

Et c’est ainsi que nous arrivons finalement à un sujet que nous connaissons de plus près : la Nintendo 3DS. Si elle n’a pas été la seule à jouer la carte de la 3D, comme l’ont tenté la 360 et la PS3, elle est celle qui proposait l’approche la plus directe et la plus radicale. De par son nom, déjà, qui porte la marque de la 3D en son cœur. Les premières présentations laissent les observateurs assez circonspects : s’agit-il d’un sous-modèle de DS supportant la 3D ou d’une vraie nouvelle console ? Il faudra quelques essais à Nintendo pour dissiper les doutes et imposer la deuxième proposition. La présentation à l’E3 2010 reste alors dans les annales par son envergure : annonçant l’avènement de la 3D auto-stéréoscopique sans lunettes, Nintendo fait débarquer sur la scène de l’évènement des dizaines de présentatrices armées d’une 3DS afin que les journalistes se rendent compte en direct de l’effet 3D saisissant. Et ça marche ! Au lendemain de la présentation, toute la presse est unanime : l’effet de profondeur est réel, sans lunettes, modulable par une molette latérale, voire entièrement désactivable si besoin. Sans surprise, son lancement en mars 2011 au Japon est un véritable succès, puisqu’elle bat le record de rapidité de ventes que détenait la Game Boy Advance, et s’impose massivement au cours des années suivantes.


Ne revenons pas sur l’échec connu du Virtual Boy dans les années 1990 : si son créateur, Gunpei Yokoi, pensait tenir là une nouvelle révolution dans la lignée de ses Game & Watch ou de sa Game Boy, il n’en fut rien, en partie à cause du très faible soutien de Nintendo, mais aussi des progrès nécessaires pour rendre la technologie mature. Quinze ans plus tard, la 3DS relève le défi haut la main, mais porte encore en elle les marques d’une hésitation. Le simple fait de pouvoir désactiver la 3D est en ce sens révélateur : quand Nintendo est sûre d’une technologie, la société l’impose coûte que coûte. On pensera notamment à l’écran monochrome de la Game Boy, décrié mais ayant permis un coût de production restreint et une conquête du monde sans partage. Il en est de même avec le développement de la Famicom quelques années auparavant, dont les composants étaient surtout choisis pour leur faible coût, malgré quelques réticences en interne. Idem avec la DS ou la Wii, qui tirent profit au maximum de leurs nouvelles technologies, au détriment de la puissance. Chez les développeurs, la même philosophie s’applique souvent : rares sont les jeux Nintendo à proposer au joueur de réarranger les touches selon son bon vouloir : le jeu est pensé pour être joué d’une façon, et pas autrement.

Hommage à l’un des précurseurs du phénomène, le Virtual Boy. On remarque le verre vide où se trouvait sans doute du Doliprane quelques minutes avant.

Or, ici, la 3DS, qui semble miser tout son argumentaire sur la 3D, bien plus que sur sa puissance (réellement supérieure à la DS), permet aussi aux joueurs de se passer de 3D. Hérésie ? Il s’agit plutôt d’une mesure de sécurité, Nintendo étant consciente des controverses liées à l’utilisation de la 3D au sein de la population. Pas question de subir une nouvelle polémique comme au temps du Virtual Boy. En cas d’inconfort, le joueur peut désactiver l’effet librement.

La 3DS sans la 3D

Pourtant, les ennuis refont surface, notamment en ce qui concerne les plus jeunes. Nintendo ne recommande pas l’utilisation de la 3DS pour les enfants de moins de 7 ans, les yeux continuant de se développer jusqu’à cet âge, et pouvant ainsi être affectés par la 3D auto-stéréoscopique. Malgré tout, la pression populaire commence à monter : dangereuse pour les enfants, la 3DS ? C’est d’autant plus dommage que nombre de jeux sont ciblés pour les plus jeunes. Nintendo se doit de réagir. En 2013 est donc commercialisée la Nintendo 2DS, un nouveau modèle beaucoup plus « jouet » que le précédent, abandonnant non seulement la charnière centrale (responsable de nombreux retours au SAV pour cause de casse), mais surtout la 3D qui donnait son nom à la console. Résultat : même si le cœur de la machine reste le même, cette nouvelle gamme change de nom et devient la 2DS. Deux ans seulement ont eu raison de l’argument de vente initial, encore et toujours pour des raisons physiologiques avant tout.


D’autre part, très rapidement après le lancement initial de la 3DS, les premiers témoignages plus mitigés apparaissent sur Internet. Cet article de Kotaku au nom évocateur remet encore l’accent sur la non-utilité de la 3D, et ses effets secondaires : maux de ventre ou de tête, inconfort, effort à fournir pour voir la 3D… Car l’affichage auto-stéréoscopique a ceci de particulier qu’il force le spectateur a plus ou moins faire la mise au point de son regard sur un point plus lointain, voire sur l’infini. Sur un écran aussi rapproché, certains ont donc l’impression de loucher et souffrent d’une gêne, le plus souvent liée à l’utilisation de muscles rarement sollicités. De plus, le moindre mouvement de l’écran par rapport au regard oblige à recalibrer son point de vue : problématique pour une console portable, mobile par définition ! Qui plus est, le passage de l’écran du haut, en 3D, à celui du bas, en 2D, oblige encore une fois à une gymnastique oculaire qui conduit bien vite certains à couper l’effet 3D, tout simplement. S’il est quasiment impossible d’étudier le taux de joueurs activant l’effet 3D, et le temps d’utilisation, sans une enquête d’envergure, on peut raisonnablement douter de l’utilisation massive de ce procédé à l’heure actuelle.

Bien plus que l’argument 3D, ce sont les nouvelles capacités de la console qui attirent le client. Les deux remakes des Zelda sur Nintendo 64 trouvent ainsi une seconde jeunesse, et la 3D n’y est pas pour grand-chose.

Nouvelle 3D pour une nouvelle vie

Conscient de tous ces problèmes, Nintendo réagit de nouveau pour améliorer sa technologie. C’est ainsi qu’est commercialisée en février 2015 la New Nintendo 3DS, accompagné de son modèle XL, qui embarque une technologie beaucoup plus performante. Non seulement la puissance de la console a été revue à la hausse, mais l’affichage 3D subit également une amélioration notable.

La console embarque en effet un système de « camera tracking », permettant ainsi de suivre les mouvements de la tête du joueur afin de corriger l’affichage 3D de l’écran, et ainsi garantir un minimum d’effort oculaire pour préserver l’effet 3D. De plus, la console gère également l’éclairage de l’écran en fonction de l’environnement de jeu, réglant la luminosité pour épargner les yeux. Des progrès significatifs qui, de l’avis des premiers testeurs, font leur effet, et améliorent grandement le confort de jeu. Il n’empêche, bien vite, cet argument commercial est enterré au profit de la plus grande puissance de la machine et surtout de son second stick additionnel améliorant le contrôle dans les jeux en 3D. Depuis lors, peu de publicités vantent les mérites du nouvel affichage de la console.


Cette fois, la technologie semblait mûre… mais le coche apparaît comme raté à nouveau. Devoir patienter quatre ans pour avoir une console pleinement satisfaisante, voilà bien une stratégie difficile à soutenir. En parallèle, le pari généralisé de la 3D dans l’industrie s’avère raté également. Le cinéma ne décolle pas, la télévision l’abandonne et le jeu vidéo parle déjà depuis plusieurs années de tout autre chose que de 3D. La 3DS est passée à quelques cheveux d’une implantation réussie, mais s’est une nouvelle fois heurtée à la dure réalité physiologique du corps, qui a décidément du mal à apprécier une 3D autre que celle du monde réel.

Les jeux exclusivement compatibles avec la New 3DS ne sont pas vraiment légion…

Le futur sera virtuel ou ne sera pas

Il faut se rendre à l’évidence : depuis maintenant 150 ans, les productions 3D sont censées constituer le futur de la photographie et du cinéma. Au cours des décennies, beaucoup prédisaient une implantation massive dans la société dès que les technologies seraient mûres et les coûts suffisamment bas. Nous y sommes enfin arrivés, mais la mayonnaise ne prend toujours pas. Pourquoi ? Il apparaît clairement que la 3D porte en elle les raisons de son propre échec, à savoir la difficulté purement physiologique à l’accepter avec efficacité. Si les yeux humains sont parfaitement efficaces pour percevoir le monde réel en trois dimensions, il devient tout de suite plus délicat de faire illusion sur un support plat, malgré tous les efforts consentis. De même, cette technologie ne répond finalement à aucun besoin véritable : la photographie et le cinéma ont trouvé une place importante dans nos sociétés par leurs apports désormais indispensables en tant que témoins de la vie, ou outils permettant une expression artistique inaccessible autrement. Longtemps, la 3D apparaissait comme la suite logique mais semble bien en peine de révolutionner quoi que ce soit, par manque cruel d’un véritable intérêt à long terme.

Fallait pas jouer à la 3DS en avion, Josiane.

Alors même que les technologies sont donc désormais au point, l’implantation ne se fait toujours pas. Car maintenant que la 3D est plus acceptable, la voilà concurrencée directement par des termes excessivement à la mode : réalité virtuelle et réalité augmentée semblent être sur le point de supplanter la 3D définitivement. Car ce qui ne fonctionnait pas sur un support plat en deux dimensions prend désormais son essor de manière spectaculaire dans un véritable environnement en trois dimensions. Plongé dans un monde 3D, le cerveau y croit dur comme fer, et l’effet semble bien plus marqué qu’avec de simples lunettes polarisantes.


D’aucuns me rétorqueront qu’il est encore trop tôt pour s’avancer, et c’est vrai. Les casques VR comme le HTC Vive ou l’Oculus Rift, deux modèles parmi tant d’autres, feront peut-être pschitt comme la 3D avant eux. Il n’empêche, la réalité virtuelle semble bien mieux armée pour immerger le public dans un véritable environnement virtuel. Cette fois, l’application première semble concerner avant tout les jeux vidéo, bien plus que le cinéma ou la télévision. Mais il ne tient qu’aux réalisateurs et producteurs de se montrer inventifs et de trouver de nouvelles façons de réinventer la grammaire du 7ème art pour proposer de nouvelles créations réellement novatrices, intrinsèquement liées au média. Plus question de simplement convertir un film 2D pour être lu sur un casque : les caméras panoramiques à 360° permettent déjà de filmer des scènes où le spectateur peut être plongé intégralement. Il ne reste qu’à franchir le pas de la production plus ambitieuse, afin d’obtenir des production réellement inaccessibles autrement. Potentiellement une révolution aussi importante que le passage à la couleur.

C’est vrai qu’on a l’air d’un con, mais pas plus que quand 90% des gens dans la rue ont les yeux rivés sur leur smartphone.

Mais avant cela, un autre domaine semble plus accessible : celui de la réalité augmentée, où on observe simplement l’apparition du virtuel dans le réel. Moins contraignante en termes d’équipement, cette technologie a connu son premier succès massif cet été avec Pokémon Go, qui a dépassé le simple cadre des geeks technophiles pour envahir l’espace médiatique. On pourra toujours arguer avec raison que sans le nom Pokémon, rien n’aurait été pareil. Certes. Mais ce premier test en appelle d’autres, et déjà des sociétés travaillent sur des technologies permettant d’aller plus loin que la simple capture de bestioles. Rien que le projet Tango, développé par Google, semble offrir des possibilités infinies de révolutionner le quotidien. Malgré l’échec des Google Glass, des sociétés travaillent également à se séparer en dernier lieu de l’appareil faisant le lien entre le réel et le virtuel (jusqu’ici le smartphone ou la tablette), en développant par exemple des lentilles de contact affichant des informations sur l’environnement extérieur.


Face à cette révolution annoncée, la 3D ne semble plus qu’avoir ses yeux rouge et bleu pour pleurer.

Mythe des temps modernes, la 3D a ainsi longtemps été attendue comme le messie dans l’industrie du divertissement, du cinéma, de la photographie et du jeu vidéo. Promise à un grand avenir dès que les technologies seraient au point, la 3D est finalement en passe d’être supplantée aussitôt son avènement atteint par des innovations menées en parallèle et bien plus convaincantes. Était-il vraiment possible pour elle de s’imposer ? Hybride étrange entre l’environnement plat des pellicules photo et des écrans, et le monde réel en trois dimensions, cette technologie semble désormais, avec le recul, un mirage inadapté aux contraintes physiologiques humaines et aux processus de création classiques. La vraie 3D, celle de la réalité virtuelle ou de la réalité augmentée, est en passe de remiser au placard cette « impression de 3D » qui a longtemps été vendue comme un futur incontournable.


Mais soyons beau joueur : sans les anaglyphes, les verres polarisants, l’auto-stéréoscopie, y aura-t-il eu les casques de réalité virtuelle et les hologrammes ? Ce qui semblait être un but à atteindre, un aboutissement, sera finalement peut-être considéré dans quelques décennies comme une longue étape en dents de scie vers une autre véritable révolution.

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